11-08-2006
Fourvière, sanctuaire bien-aimé de Lyon
On y prie depuis les débuts de la chrétienté. La colline de Fourvière offre un panorama incomparable sur la capitale des Gaules. C'est aussi, avec la basilique «romano-gothico-byzantine», un sanctuaire où vient spontanément s’exprimer une foi populaire et sincère
Impossible de la manquer. Perchée là-haut sur la colline, la basilique domine la ville de toute sa blancheur. « Fourvière c’est un peu l’âme de Lyon, résume le P. Jean-Marie Jouham, recteur du sanctuaire. C’est le lieu où les Lyonnais aiment venir porter leurs joies et leurs peines. » En témoignent les nombreux ex-voto qui tapissent la crypte de la basilique.
« Mais c’est toute la basilique elle-même qui est un ex-voto ! », souligne Jean Pupunat, responsable de l’action culturelle de la Fondation de Fourvière, rappelant les quatre vœux qui ont, au fil des siècles, profondément attaché les Lyonnais à ce qui est devenu « leur » basilique.
Car ils sont chaque jour nombreux à monter à Fourvière : touristes venus admirer une des plus belles vues sur Lyon, malades demandant une guérison, jeunes mariés offrant leur bouquet à la Vierge : chacun a sa raison de venir. « On est témoins de tas de petites choses extraordinaires, raconte Frédéric Lazard, diacre à la basilique. Je garde ainsi en mémoire ces deux jeunes venus rendre grâces : “Je viens de demander la main de ma copine” », souriait le garçon.
Et il n’est pas rare pour le prêtre, en aube en permanence dans l’église, de croiser des familles musulmanes lui demandant de bénir l’enfant nouveau-né qu’elles sont venues confier à Myriam, comme est désignée Marie dans le Coran ! « Beaucoup de gens veulent tout simplement parler, même s’ils ne se disent pas chrétiens », ajoute le P. Jouham, qui accorde un soin tout particulier à ce que chacun se sente accueilli à Fourvière. « Nous avons un véritable travail d’humanisation à faire en rouvrant des perspectives dans la vie des gens », explique-t-il.
300 bénévoles mobilisés pour l'accueil
Près de 300 bénévoles sont d’ailleurs mobilisés pour le seul accueil. Pour parler avec les visiteurs, mais aussi pour aider à faire découvrir un lieu qui ne laisse personne indifférent. « Fourvière, on aime ou on déteste », reconnaît Jean Héritier, un de ces bénévoles passionnés qui font visiter la basilique. Lui-même avoue avoir fait partie des réfractaires à ce style surchargé (80 types de pierre !) qui suscite des réactions souvent mitigées.
« C’est vrai que c’est très composite, sourit-il. Les arcs brisés rappellent plutôt le gothique, alors que les bas-côtés seraient plutôt romans, tandis que les coupoles et la décoration sont nettement byzantines » : un résumé de l’art chrétien, en quelque sorte, qu’il a finalement appris à aimer en découvrant l’édifice de l’intérieur. Autre guide passionnée, Colette Tempère rappelle d’ailleurs cette phrase de Pierre Bossan, l’architecte du lieu : « Je ne veux être ni plagiaire ni novateur, je veux être chrétien. »
Étonnant personnage que ce Pierre Bossan, représenté deux fois dans la basilique : en Joachim (le père de Marie), et en Joseph (époux de la vierge). Et réellement, il fut tout à la fois le père et l’époux de cette basilique, à laquelle il consacra toute la fin de sa vie. C’est lors d’un voyage en Italie que, visitant les églises de Sicile, il découvre l’art byzantin. C’est une révélation pour cet adepte du néogothique (comme en témoigne l’église Saint-Georges, au pied de Fourvière), qui deviendra l’inspirateur de ce style unique, « gréco-romano-gothique », comme le résumera le peintre Maurice Denis en 1922.
S’il s’inspire du plan basilical en usage à Rome, Bossan, à la manière des bâtisseurs de cathédrales du Moyen Âge, s’attachera à développer toute une catéchèse dans ce qui restera son chef-d’œuvre. La comprendre suppose d’abord de dépasser l’impression martiale que donne la construction. « Face à la montée de l’anticléricalisme, il a dessiné ce qui, de l’extérieur, a l’air d’une forteresse protégée par une multitude d’anges armés et renforcée par quatre tours dédiées aux quatre vertus cardinales, explique Jean Héritier. Mais à l’intérieur, il a voulu un véritable palais à la gloire de la Vierge Marie. »
"L'architecture de Bossan est profondément inspirée de la Bible"
« L’architecture de Bossan est profondément inspirée de la Bible », souligne Colette Tempère, qui rappelle le chapitre 21 de l’Apocalypse, dans lequel saint Jean voit apparaître la Jérusalem céleste : « Elle resplendit telle une pierre très précieuse, comme une pierre de jaspe cristallin. Elle est munie d’un rempart de grande hauteur (…) construit en jaspe, et la ville est de l’or pur, comme du cristal bien pur. »
Que ce soit sur les bas-reliefs de l’extérieur, sur les mosaïques et les sculptures de l’intérieur ou sur les vitraux, c’est en effet toute la foi de l’Église qui se trouve résumée dans Fourvière. « À travers un parcours initiatique, qui suit Marie comme chemin de foi, il y a une trame tissée de références bibliques rappelant l’Alliance de Dieu avec l’humanité, le salut de l’humanité en Christ et la victoire du bien sur le mal. »
Totalement voué à son œuvre, Pierre Bossan n’en verra toutefois pas le terme et c’est son fidèle disciple, Sainte-Marie Perrin (par ailleurs beau-père de Paul Claudel) qui achève le gros œuvre en 1894. Il faudra encore attendre 1946 pour que soit posée la dernière mosaïque, et 1964 pour que le sculpteur Belloni réalise sa dernière statue. Encore est-ce là un travail inachevé, comme en témoignent quelques chapiteaux non encore sculptés dans la crypte et les nombreux blocs encore bruts sur l’abside et les murs extérieurs.
Mais, signe de l’attachement des Lyonnais à leur sanctuaire, Fourvière reçoit toujours des dons : souvent modestes, ils peuvent se révéler plus substantiels… « Récemment, nous avons reçu en legs un immeuble de rapport dont le bénéfice devra explicitement être consacré à l’achèvement des statues », se réjouit Jean-Dominique Durand, président de la Fondation de Fourvière (propriétaire de la basilique).
L'un des rares sanctuaires privés de France
L’édifice a en effet la particularité d’être l’un des très rares sanctuaires privés de France. Il n’est ni la propriété de l’État ni celle de l’Église. Financé par les dons des Lyonnais, il a longtemps appartenu à la commission de Fourvière, dans laquelle siégeaient les grandes familles de la ville. En 1998, celle-ci a laissé la place à une fondation reconnue d’utilité publique où siègent des représentants de l’Église et de l’État, et qui travaille main dans la main avec le recteur désigné par l’archevêque pour assurer l’animation spirituelle du lieu.
« L’existence de cette fondation témoigne de l’attachement extraordinairement fort entre les Lyonnais et Fourvière », souligne Jean-Dominique Durand qui, au-delà de l’animation culturelle de Fourvière, conçoit aussi son rôle comme un engagement d’Église. «C’est un service et une mission que je suis très fier d’accomplir, au service non seulement du sanctuaire mais de tous les Lyonnais.»
Car tous ceux qui aiment le lieu et le font vivre au quotidien s’accordent pour souligner que la basilique parle bien au-delà des seuls catholiques lyonnais. «Construite dans un contexte de combat, Fourvière est devenue un lieu de rencontre et de retrouvailles», commente Jean-Dominique Durand. Si les mosaïques autour de l’autel continuent de montrer le luthéranisme parmi les hérésies des siècles passés, dessinées sous les traits de monstres, une plaque à l’entrée rappelle que protestants et catholiques ont aujourd’hui dépassé ces affrontements.
Et c’est à Fourvière qu’ils se retrouvent régulièrement, à Pâques, pour une aube œcuménique où les responsables religieux lyonnais prient ensemble sur la ville. « Cela traduit bien l’évolution de notre société », se félicite Jean-Dominique Durand qui vient de créer, dans le cadre de la Fondation, un observatoire des cultures religieuses. « C’est un moyen de souligner le rôle des religions dans la société, explique-t-il. Et de montrer ce qu’elles peuvent apporter à la société d’aujourd’hui. »
Nicolas SENEZE
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les dates de fourvière
43 av. J.-C. : Plancus, ancien lieutenant de César, fonde Lugdunum sur le site de l’actuelle colline de Fourvière.
177 ap. J.-C. : Martyre de saint Pothin. Saint Irénée devient évêque de Lyon.
1139 : lettre de saint Bernard aux chanoines de Lyon contre la célébration de l’Immaculée Conception.
1168 : le chapitre fonde une chapelle sur la colline, dédiée à saint Thomas Beckett, archevêque de Cantorbéry.
1586 : la chapelle est rebâtie avec deux nefs, l’une toujours dédiée à saint Thomas Beckett, l’autre à la Vierge.
1638 : vœu de l’Aumône générale pour demander la guérison des enfants atteints du scorbut.
8 septembre 1643 : vœu des échevins pour demander que la ville soit épargnée par la peste.
1832 : vœu des Lyonnais pour demander que la ville soit épargnée par le choléra.
1870 : vœu des Lyonnais, promettant la construction d’une nouvelle église si la ville est épargnée par les Prussiens.
1872-1884 : construction de l’actuelle basilique.
1891 : première messe.
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2277606&rubId=4078